C’est au sein du Club Utilisateurs Auriga que Pierre-Julien Grizel, entrepreneur et enseignant spécialiste de l’Intelligence Artificielle, prendra la parole pour sa prochaine conférence. En avance de phase, notre équipe l’a invité à s’exprimer sur cette technologie qui pourrait bien transformer l’avenir de l’humanité. Plus particulièrement, quels sont les enjeux de l’IA pour l’Education ? Entre vision et démystification : son avis d’expert en 5 questions-réponses.

L’Intelligence artificielle aujourd’hui, est-ce une réalité ou de la science-fiction ?

L’Intelligence Artificielle (IA) est une discipline ancienne ! Cela fait plus d’un demi-siècle que des chercheurs travaillent sur les algorithmes similaires à ceux que nous utilisons aujourd’hui, tous les jours, sans que nous nous en rendions compte : de l’application de calculs d’itinéraire à l’assistant personnel, de logiciels permettant de prévoir les pannes de machines dans les usines à ceux utilisés pour le marketing à grande échelle. L’IA est partout autour de nous, même si elle ne se présente pas toujours de la manière la plus spectaculaire.

IA et Education : leur envisagez-vous un destin commun ?

L’Intelligence Artificielle moderne est intrinsèquement, sémantiquement liée à l’éducation. La plupart des algorithmes utilisés aujourd’hui sont dits “apprenants”, c’est à dire que la machine “apprend”, sur la base de volumes de données très importants, le comportement-cible. On ne peut faire de lien plus direct avec l’éducation ! Le développement de ces algorithmes nous a d’ailleurs permis de mieux comprendre les mécanismes de l’apprentissage humain. Au-delà de cette approche théorique, l’IA est un allié fort dans le monde de l’éducation, que ce soit pour « augmenter » la pédagogie, accélérer ou rendre quasi temps-réel le travail d’évaluation des élèves, proposer des parcours d’enseignement ultra-personnalisés, et, évidemment, enseigner l’IA, discipline à la frontière entre les mathématiques, l’informatique et les sciences cognitives.

 L’IA est-elle un outil pour mieux apprendre ?

J’aime beaucoup faire le parallèle avec la voiture autonome : cela fait près de 10 ans que l’on nous promet de mettre sur nos routes des voitures totalement autonomes, dans lesquelles le conducteur serait totalement passif. Cela ne fonctionne pas en l’état, et nous en sommes encore très loin. Pourtant, ces recherches ont conduit à une très grande amélioration de la conduite : la plupart des voitures récentes intègrent des algorithmes issus de ces recherches (détection de panneaux, de lignes blanches…). L’IA, dans l’éducation, se pose idéalement en assistant de l’apprentissage : elle permet d’automatiser à grande échelle des tâches consommatrices de temps, elle permet d’augmenter l’expérience pédagogique plus qu’elle ne la révolutionne.

Quelles en sont les limites ?

La limite de l’IA actuelle est très simple : elle est effroyablement bête ! Les algorithmes les plus complexes sont moins évolués que des êtres vivants simples. Le mode d’apprentissage les rend très consommateurs en données (et en énergie) : pour apprendre à une machine à distinguer un chien d’un chat, il faut des milliers d’images d’exemple. Pour un enfant de 3 ans, il ne faut que quelques images. L’IA est parfaite pour s’abstraire de tâches qui requièrent de l’attention, mais inadaptée à celles qui imposent une prise de décision avec de multiples facteurs. La limite se perçoit très bien avec les assistants personnels de nos smartphones : parfois un peu longs à comprendre, et cantonnés à un univers somme toute assez restreint.

Enseigner l’IA et éduquer à l’IA : quels sont vos retours d’expérience ?

En quelques années, l’IA est passée d’une discipline accessible au prix d’un savoir mathématique dense, à une matière accessible à de nombreux étudiants. Il s’agit souvent d’une unité d’enseignement dans des cursus scientifiques : informatique, mathématiques, physique.

En France, de très nombreuses écoles forment à l’IA, certaines commencent à intégrer les dimensions éthique, écologique et sociale à ces apprentissages techniques. Nous avons d’excellents professeurs et experts en France, c’est une chance inouïe.

L’enseignement de l’IA est un vrai plaisir, que ce soit auprès de néophytes ou d’ingénieurs. C’est en surface une discipline étonnamment simple, et la réalisation pratique d’algorithmes très avancés ne demandent plus que quelques dizaines de minutes d’effort. Et en même temps, soulever le voile et explorer les entrailles des algorithmes fait appel à des notions mathématiques beaucoup plus poussées qui nous interrogent sur l’essence même de la vie. Ainsi,  l’IA consiste à modéliser, par des nombres et des opérations, un début de raisonnement “intelligent”. C’est un pari un peu fou, et les limites actuelles de l’IA montrent que nous sommes loin, très loin de comprendre les mécanismes d’apprentissage du cerveau humain.    

 


Pierre-Julien Grizel enseigne l’IA à l’école d’ingénieurs EPITA, dont il a dirigé pendant 4 ans la spécialisation Intelligence Artificielle. Dès 2009, il fonde NumeriCube, société spécialisée dans les services à l’intelligence artificielle, puis a devient CTO de la startup Papernest. Il est aujourd’hui co-fondateur de Humasana, jeune pousse spécialisée dans la santé et le bien-être.



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